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« UN BÂTIMENT TUNNEL POUR TRIPLER MON TROUPEAU »

REPORTAGE PHOTOS : © CÉDRIC FAIMALI/GFA

THIERRY DORT A CONSTRUIT UN BÂTIMENT TUNNEL ISOLÉ ET AUTOMATISÉ, ATYPIQUE DANS SA RÉGION, POUR PASSER DE 400 000 À PRÈS DE 1,5 MILLION DE LITRES. IL LES PRODUIT DANS DE BONNES CONDITIONS, AVEC DEUX ROBOTS DE TRAITE, POUR UN INVESTISSEMENT D'À PEINE 6 000 € LA PLACE.

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Il voulait un bâtiment isolé, bien ventilé, lumineux, doté de robots de traite et permettant d'optimiser l'organisation et le temps de travail. Thierry Dort savait qu'il ne transigerait pas sur ces critères lorsqu'il s'est lancé, en janvier 2013, dans son projet de construction pour largement tripler sa production laitière. En revanche, il fut dès le départ ouvert aux solutions nouvelles, qui pourraient répondre à ses exigences en maîtrisant au mieux un investissement conséquent. « Jusque début 2014, je produisais 400 000 l dans une stabulation de 43 logettes, équipée d'un robot de traite depuis six ans. Ce bâtiment de quarante ans, saturé, devait être remplacé dans la perspective de l'après-quotas. Or, notre laiterie Hutin, à Dieue-sur-Meuse (groupe Hochland), nous offre l'opportunité de développer considérablement la production, explique Thierry Dort, président du Groupement de producteurs laitiers de la Vallée de la Rotte. J'ai au moins vingt ans d'activité devant moi et trois fils, dont un en études agricoles. Nous avons donc décidé de faire le grand saut : dans ce nouveau bâtiment tunnel, avec 140 logettes et deux robots Lely A4, nous venons d'amorcer la production de 1,4 Ml avec 140 vaches en zéro pâturage. »

Le bâtiment flambant neuf, sur 1 950 m2, en deux travées recouvertes chacune d'un dôme, a l'allure d'une immense serre. « C'est sur internet que j'ai vu ce genre de bâtiment tunnel pour l'élevage, il n'y en a pas dans la région, poursuit l'éleveur, en entrant dans la stabulation où 135 vaches cohabitent à la suite de l'achat récent de trois troupeaux. J'ai d'office écarté les systèmes tunnels non isolés. Car la laiterie nous demande du lait d'été : je dois préserver les vaches des grosses chaleurs. Je me suis tourné vers les tunnels isolés proposés par Filclair, un constructeur français. » Celui-ci n'ayant installé aucun bâtiment de ce type dans l'Est, l'éleveur va visiter des exploitations laitières équipées dans le Centre. Il en revient convaincu. « L'ambiance était celle que je recherchais, pour un investissement de 63 €/m2 clos couvert. C'est bien moins que les bâtiments classiques, plutôt à 150 €/m2. Par exemple pour un bâtiment en kit, à monter soi-même et seulement couvert, j'avais un devis à 58 €/m2 ! » La demande de permis de construire est rapidement déposée et les travaux démarrent en juillet 2013. Six mois après, tout est construit et les animaux investissent les lieux en janvier dernier.

« UNE BÂCHE ÉPAISSE DE CAMION DE 650 G/M2 »

C'est une structure légère, directement dérivé des serres maraîchères. Trois rangées de poteaux en acier galvanisé délimitent les deux travées. La couverture en dômes est assurée par une bâche intérieure de 250 microns d'épaisseur, isolée par 8 cm de laine de verre. Le tout est protégé côté extérieur « par une bâche épaisse de camion, de 650 g/m2 », décrit l'éleveur. Les dômes sont dotés d'une partie mobile, qui s'ouvre automatiquement pour garantir l'aération.

Pour les bardages également, des matériaux légers sont mis en oeuvre. Le long-pan orienté à l'est est simplement bardé de filets brise-vent, avec une partie médiane amovible par enroulement selon la météo, une partie basse fixe et un filet anti-oiseaux en haut. Le long-pan côté ouest est équipé d'un filet brise-vent, et d'une bâche antipluie transparente, qui s'escamote par enroulement automatique en l'absence d'intempéries. Quant aux faces nord et sud, où se trouvent les portes d'accès qui s'ouvrent par enroulement automatique, leurs parois sont en polycarbonate. Des panneaux sandwichs ont été mis en oeuvre au niveau des locaux techniques (laiterie, bureau) « pour couper le froid ». Toutes les ouvertures et fermetures des divers dispositifs d'aération sont automatiques, en fonction des conditions météo extérieures et de la température à l'intérieur. L'ambiance du bâtiment se trouve ainsi régulée en permanence.

« PRESQUE PAS DE BÉTON »

Édifier le bâtiment a nécessité peu de béton. « Il y en a uniquement au niveau des plots sous les poteaux, la seule partie que nous avons faite nous-mêmes, note Thierry Dort. Nous avons utilisé 20 m3. » Et de faire remarquer que la position des poteaux de la structure, alignés sur les bordures du bâtiment et au milieu des logettes, les met hors de contact avec les déjections, donc à l'abri de la corrosion. Sur le plan de la durabilité du bâtiment, il précise aussi que la bâche de couverture extérieure, clipsée sur les armatures des deux dômes, devra être changée tous les quinze à vingt ans, pour un coût prévisionnel de 10 000 € (5 €/m2). L'éleveur s'est bien sûr interrogé sur le comportement d'une structure aussi légère face aux intempéries. « J'ai questionné le constructeur sur la résistance à la neige : cela ne pose a priori aucun problème, car il a installé de tels bâtiments au pied des Pyrénées, rapporte Thierry Dort. Même chose pour la résistance aux tempêtes : il en existe dans les îles comme la Martinique... ».

Limiter son investissement dans le bâtiment, et dans le stockage du lisier grâce à un séparateur de phases, a permis à l'éleveur d'acquérir des équipements facilitant le travail. « Pour traiter les lisiers, évacués par des racleurs automatiques, j'ai choisi une séparation de phases. Car ce système réduit les épandages, nécessite 30 % de capacité de stockage en moins qu'un système classique, et surtout, la poche souple de stockage de la phase liquide représente un investissement bien moins élevé qu'une fosse ! » L'investissement pour le stockage et traitement du lisier s'élève à 58 000 €. C'est presque deux fois moins que sans séparation de phases, selon l'éleveur. « J'ai donc pu investir dans d'autres matériels : un robot repousse-fourrage, indispensable puisqu'il y a 100 places de cornadis, et une cage de contention électrique, pointe Thierry Dort. Organiser le travail pour produire avec peu de main-d'oeuvre a toujours été l'un de mes objectifs. »

L'investissement total atteint 820 000 €. « Cela inclut 80 000 € pour les bétons extérieurs (1 000 m2) et le silo de maïs. Donc, l'investissement dans le bâtiment seul représente en fait 5 300 €/vache », calcule Thierry (voir tableau). Pour vérifier la faisabilité du projet en termes de financement, l'éleveur a fait appel à la chambre d'agriculture de la Moselle.

« L'étude a montré que la hausse potentielle de 70 000 € d'EBE réalisable dans le nouveau système (1,4 Ml avec 140 vaches, vendus à 310 €/1 000 l, avec abandon de l'engraissement) couvrirait les nouvelles annuités à rembourser à la suite de l'investissement, indique Romain Montagné, conseiller d'entreprise à la chambre d'agriculture. Toutefois, si le prix du lait varie de 20 €/1 000 l à la hausse ou à la baisse (290 € ou 330 €), l'EBE évolue de plus ou moins 20 000 €. Pour y faire face, Thierry Dort dispose d'un prix de revient bien maîtrisé à 285 €/1 000 l (contre une moyenne de 323 € dans notre échantillon de 50 exploitations, correspondant à 10 % du quota départemental). La réalisation d'une matrice de gain ou de perte est importante dans ce type de projet. Celui-ci s'avère cohérent aussi parce qu'il se concrétise lorsque les annuités de l'exploitation de Thierry Dort diminuent. Et le fait que ses choix techniques sur le bâtiment aient permis de limiter l'investissement est un atout évident. »

« LE BÂTIMENT SEUL REPRÉSENTE 5300 € PAR VACHE »

Pour l'heure, ces choix techniques satisfont l'éleveur : « Il faudra voir au fil du temps si nous avons fait les bons choix. Mais l'ambiance du bâtiment est bonne : il n'y a pas de condensation sous les dômes, et c'est calme car l'isolation absorbe bien le bruit. Grâce à sa luminosité, nous voyons mieux les chaleurs qu'avant. Et je pense pouvoir gagner en temps de travail. » Il se réjouit aussi du prix du lait payé ce printemps (390 €/1 000 l) : « C'est une chance de se lancer dans ce projet avec des prix du lait intéressants ! »

CATHERINE REGNARD

Deux robots de traite Devant le bloc technique, les deux robots de traite sont alignés sur le long-pan ouest. Dans les logettes (voir photo ci-contre à droite),Thierry Dort utilise de la poudre de chanvre pour absorber l'humidité.

Ouverture du dôme Lorsque la température dans le bâtiment dépasse 18°C, cette partie du toit est ouverte automatiquement par un petit moteur indépendant. Et celui-ci réduit l'ouverture dès que la température du bâtiment s'abaisse sous 18°C.

Filets brise-vent Le long-pan est se trouve bardé de filets brise-vent, avec une partie médiane amovible par enroulement selon la météo, une partie basse fixe et un filet anti-oiseaux en haut.

Robot repousse-fourrage Limiter son investissement dans le bâtiment a permis à Thierry Dort d'investir dans d'autres matériels : un robot repousse-fourrage et une cage de contention électrique.

1 950 m2 en deux travées Le bâtiment, haut de 4 m au poteau et 5,88 m au sommet des dômes, suit une pente de 1 % pour assurer l'écoulement des eaux de pluie. Il est évolutif : en enlevant la ligne de vie en bordure du toit, on peut ajouter une troisième travée. Ici apparaît le long-pan est, bardé uniquement d'un filet brise-vent.

Séparation de phases pour les lisiers Les lisiers sont traités par un séparateur de phases, consommant peu d'électricité d'après l'éleveur : « Le moteur de 4,5 kW tourne une heure par jour. » Il épand la phase solide sur ses prairies : il ne recherche donc pas un produit aussi sec que pour une utilisation en litière.

Bâche enroulable côté ouest Lorsque la pluie est détectée, la bâche de protection du long-pan ouest est déroulée automatiquement par un moteur. Toutes les ouvertures et aérations du bâtiment sont contrôlées par un automate (relié à des capteurs de température, vent, pluie), selon des consignes programmées.

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